Dans une tribune adressée au Moniteur, Cristina Conrad
(architecte, urbaniste) et Denis Dessus (architecte et expert en
marchés publics), dénoncent le recours massif aux partenariats
public-privé, un outil « désastreux » pour les finances publiques,
utilisé au profit de quelques-uns, au détriment de l’intérêt général et
de l’architecture.
Le contrat de partenariat public privé (PPP) permet de confier en
un seul marché, conception, construction, entretien, maintenance et
gestion d’un équipement public. Celui-ci est financé par le groupement
privé attributaire du contrat, et payé par l’Etat ou la collectivité
sous forme de loyer (sorte de « leasing ») sur des durées de 15, 30,
voire 40 ans. Les règles de la comptabilité publique ont été adaptées
pour que la majeure partie du montant du marché, n’apparaisse pas en
investissement, mais en fonctionnement, masquant ainsi à l'Europe, la
réalité de la dette contractée. Le groupe parlementaire voulait même une
loi généralisant cette procédure et envisageait sérieusement une clause
pour que le délit de favoritisme ne puisse s’appliquer.
Surendettement
L'intérêt du PPP c'est qu'il permet de lancer de vastes
programmes, sans argent, en reportant à plus tard, leur paiement. Il
s’agit d’un comportement de ménage surendetté qui triche sur la
déclaration de ses finances pour continuer à emprunter. Pire, le
gouvernement Sarkozy, après avoir garanti l’investissement du groupement
privé dans le cadre du plan de relance, a voulu permettre la
titrisation des créances des banques. Les premiers PPP ont été mis en
œuvre en 1980, par Margaret Thatcher (« Private Finance Initiative ») et
de nombreuses études ont montré les taux de profits élevés pour les
privés et les risques encourus par les finances publiques. Entre autres,
60 hôpitaux anglais sont en état de faillite annoncée. Le gouvernement
britannique freine désormais ce type d'initiative.
Calamiteux
Les PPP ont été voulus par les gouvernements Chirac et
Sarkozy et développés au départ, pour la réalisation des prisons, en
invoquant l'urgence et la contrainte technique puis, généralisés à des
programmes plus complexes et évolutifs comme l'hôpital Sud-Francilien,
le « pentagone » français à Balard, l'université de Paris-VII Diderot ou
l'autoroute L2 à Marseille ou le Palais de Justice à Paris. Les
collectivités locales ont pris le relais en lançant des programmes en
PPP, calamiteux pour les finances territoriales : le grand stade de
Lille (qui a doublé l’endettement de la communauté urbaine de Lille de 1
à 1,9 milliard d’euros), tous les collèges et gymnases de
Seine-Saint-Denis, (département le plus endetté de France) réalisés en
un seul PPP, le palais des Congrès surdimensionné à
Chalons-en-Champagne, l'aéroport de Nantes, la rénovation des 600 écoles
de Paris (en CPE, ersatz du PPP), etc. La liste serait longue...
Service public ou produit financier ?
L’Etat et de multiples collectivités utilisent cet outil en
justifiant de la nécessité de relancer l'économie et la construction.
Ils prétendent pouvoir réaliser des PPP « vertueux » qui n'intègrent pas
la maintenance, maîtrisent les coûts, imposent des artisans locaux,
contrôlent la qualité des réalisations, mais pour un contrat vertueux,
combien de contrats pernicieux! Les architectes, les artisans et PME
du bâtiment ont toujours dénoncé ces pratiques très onéreuses car
réduisant la concurrence aux trois ou quatre majors du BTP, (Bouygues,
Vinci, Eiffage). Le conseil constitutionnel en a par deux fois limité
l’usage. Les faits aujourd’hui confirment ces propos et de multiples
voix dénoncent une formule qui creuse la dette des générations futures
(le pentagone français, dont le coût initial était de 745 millions
d'euros, coûtera à l'Etat… 3,5 milliards d'euros), transforme le service
public en produit financier au profit de quelques banques et grandes
entreprises et dont les risques sont supportés par les contribuables.
Puissance publique captive
En octobre 2011, la cour des Comptes a analysé les PPP
pénitentiaires. Cette analyse fait froid dans le dos : elle constate un
coût indolore dans les 2 ou 3 premières années, coût qui augmente de
façon exponentielle avec des loyers multipliés par 7 dès 2017 et un
coût global de 23,8 milliards d’euros en 2044. La cour des comptes pose
clairement la question de la soutenabilité financière de la politique
PPP et constate que le ministère n’a aucune politique budgétaire à long
terme permettant de répondre aux engagements pris. En clair, personne ne
s’est posé la question de savoir comment on allait payer dans 10 ans
les loyers des PPP, d'autant plus que, s'agissant de programmes qui
doivent évoluer dans le temps comme les hôpitaux, la puissance publique
se retrouve captive du groupement privé!
Surenchères
Mais, les PPP ne produisent pas que des effets
catastrophiques pour les finances publiques, ils ont aussi des
conséquences graves pour l'appareil de production du bâtiment et pour la
qualité urbaine et architecturale. En réduisant le nombre d’acteurs à 3
ou 4, toujours les mêmes, à l’appétit aiguisé par des marchés pesant
plusieurs centaines de millions d’euros, il est évident que le lit est
fait pour la surenchère et les négociations occultes. Les mêmes causes
produisent généralement les mêmes effets et l’histoire récente est
jalonnée de condamnations pour entente, comme ce fut le cas pour les
travaux publics, les ascenseurs, les vitrages etc. Ces procédures dites
«ensemblières» ont été responsables, avec les METP d’Ile-de-France, des
très nombreuses mises en examen des années 1980-1990, à tel point que
leur usage avait été fortement limité.
Hors-jeu
Ce choix politique se fait de plus, au détriment des
entreprises artisanales et familiales, qui constituent la vitalité
économique d’un pays et créent de la main d'œuvre fidélisée. La
globalisation nous fait oublier que l'avenir est dans le local! Ces PME
sont mises hors-jeu car, sans surface financière, juridique et
administrative suffisantes, elles ne peuvent répondre à ces appels
d'offres. Cette structuration du bâtiment engendre un coût de
construction, parmi les plus élevés d'Europe. Les grands groupes ne
créent pas d'emplois stables, ils étranglent les sous-traitants et
engendrent une déqualification des métiers locaux et la perte des
savoir-faire. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit, avec des équipements,
de satisfaire un service public. Or, avec une concurrence
architecturale limitée et souvent laissée au libre choix du financeur,
la qualité du projet, donc la qualité du service, devient un critère
très secondaire de choix. Le faible niveau de prestation est démontré
par les retours d’expérience anglais et les premières réalisations
françaises.
Dérives nombreuses
En annexant l’architecte et son équipe à l’entreprise, le
rôle de la maîtrise d'œuvre est perverti car subordonné au « payeur ».
Elle ne travaille plus pour faire le meilleur projet et l’obtenir aux
meilleures conditions pour le maître d’ouvrage public, mais pour aider
le groupement privé à obtenir la marge maximale. Les dysfonctionnements
des prisons de Roanne ou Montauban, les malfaçons et surcoûts de
l’hôpital Sud-Francilien et le sous-dimensionnement des ferraillages des
planchers de l’université Paris-VII Diderot, en sont des exemples. Or,
la triangulation existant traditionnellement entre maître
d'ouvrage/architecte et entreprise permettait d'éviter de nombreuses
dérives. Néanmoins, les signes d’une prise de conscience de la réalité
des PPP sont multiples au sein du nouveau gouvernement, que ce soit pour
les travaux de la justice, le plan Université ou les futures lignes à
grande vitesse du réseau ferré. Louons Christiane Taubira et le frein du
programme des prisons, et ses réticences devant le contrat de 1,7
milliard pour le nouveau palais de Justice. Mais, même si les travaux
n’ont pas commencé, la rupture de contrat coûterait 80 millions d’euros à
l’Etat! Apparemment ces contrats ont été négociés pour préserver les
intérêts du partenaire privé et non ceux du contribuable!
Gribouille
Plus que de vertu, il faudrait parler d’éthique ou de
responsabilité. Les mandats passent, mais les conséquences des mauvaises
gestions financières vont peser sur les prochaines générations. L'Etat
et les collectivités publiques sont un moteur économique essentiel. Avec
les PPP et l’illusion d’une activité immédiate, ils s'enfoncent dans
l’endettement à long terme et plombent d’ores et déjà les capacités
futures d’investissement et de relance économique. Les collectivités
locales endettées sur 30 ans, pour réaliser un programme «payant
électoralement», risquent de se retrouver en faillite. Exsangues, elles
ne pourront plus financer dans les années à venir, les programmes
prioritaires, par exemple du logement social. Cette vision à court terme
est, en période de crise, extrêmement grave. C'est une politique
démagogique, une politique de Gribouille. Initiée - nous le répétons -
par les présidents Chirac et Sarkozy, elle se doit d'être contrecarrée
par l'actuel gouvernement, assis sur une solide majorité. Lequel, avec
clairvoyance et courage politique, doit procéder à un virage sur l'aile
vis-à-vis des anciennes pratiques et limiter et encadrer les PPP, cet
outil désastreux.
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